Dans une semi-obscurité teintée de bleu et éclairée par une faible lueur on pouvait discerner un léger mouvement. Un frétillement de moustache suivit d'un petit geste fendant l'air vinrent troubler le silence humide de la Grotte Sacrée. C'était l'antre de la soigneuse, l'antre d'Abysse. Elle était là, triant avec fatigue et mélancolie les remèdes posés le long de la paroi rocailleuse.
 Elle soupira. Cette nuit-là, la soigneuse mouchetée avait encore cauchemardé de son défunt père. Elle l'aimait tant et il ne quittait plus ses songes. Elle retint un sanglot en poussant une baie vers sa place du bout du museau. Ranger, ranger. Elle n'avait plus que ça à faire.
 C'est finalement l'appel, à l'entrée de sa tanière, d'un de ses garde-cavernes qui vint rompre ce silence pesant.
 « Hum... Excuse-moi Abysse, j'ai besoin de ton aide... »
 Oui, non, serait-ce... ? Abysse eut un hoquet d'excitation en reconnaissant la voix de Faucon. Ce matou... Abysse l'aimait. Oui, elle devait l'admettre ! À chaque fois qu'elle l'apercevait, elle le dévorait des yeux. Et là, il semblait avoir besoin de son aide. Peut-être qu'en passant du temps avec lui... !
 Abysse se dandina d'excitation. Faucon n'avait pas de compagne, alors ça ne pouvait qu'être parfait. Un frisson d'excitation parcourut l'échine d'Abysse alors qu'elle s'imaginait déjà blottie contre lui.
 La jeune soigneuse secoua la tête en se rendant compte qu'elle ne lui avait toujours pas répondu. Trouverait-il ça déplacé ? La peur l'envahit.
 « Oui, oui, entre. » Miaula t-elle d'une voix qu'elle espérait la plus douce et accueillante possible.
 Elle inspira profondément en se postant face à l'entrée de la Grotte Sacrée, la tête dans les nuages et toute rêveuse.
 

Faucon apparut à l'entrée de la grotte, l'allure nerveuse et tout gêné. Abysse dressa les oreilles, plus qu’intéressée.
 Il semblait vouloir dire quelque chose mais ne pas l'oser. Peut-être... ? Abysse, les yeux brillants, se retint de bondir de joie.
 « Je, heu, je, hum, je... »
 Oui... ? L'encouragea mentalement la soigneuse en clignant des yeux doucement. Elle fit un ample geste du museau, attendant ses dires. Elle se préparait déjà à lui sauter dessus dans un geste plein d'amour.
  « Abysse (la soigneuse sourit et ferma les yeux), tu n'aurais pas une herbe contre le mal de tête ? »
 Abysse rouvrit immédiatement les yeux. Quoi ? Ce n'était... Pas ce à quoi Abysse s'attendait. Faucon était-il timide, égoïste ? La mine contrariée, la soigneuse se détourna aussitôt. Elle ne voulait rien laisser paraître.
 « Oui... Je dois avoir ça. »
 La soigneuse se dirigea d'un pas las, les oreilles et le regard bas, vers ses réserves. Son esprit était tellement brouillé qu'elle mit du temps à se rappeler quelle plante traitait le mal de tête. Grande Camomille. Elle fouilla sa réserve du bout du museau, l'oeil humide, et se rendit compte qu'elle n'en avait pas.
 Elle retourna vers Faucon d'un pas lourd.
 « Ah, non, désolée. Je n'ai pas de quoi... Faudrait aller en chercher. Si tu es en forme, on peut y aller. Sinon pas grave, je conseille juste du repos. »
 Faucon semblait nerveux. Ses griffes sortaient et rentraient sans cesse, il grattait la pierre nerveusement. Tout n'était peut-être pas perdu. Il était peut-être juste trop "malade" pour oser l'avouer. Les yeux d'Abysse se fermèrent un instant, elle était d'un coup rassurée !

À la proposition d'Abysse, Faucon semblait détendu. Il accepta même ! Il fit une rapide toilette alors qu'Abysse souriait, toute gaie.
 La soigneuse se sentait aux anges. Elle suivit Faucon dehors tandis que celui-ci semblait réjoui de quitter l'endroit. Hmm, il cache quelque chose ! Et... C'est bien ! Abysse ronronna discrètement.
 Les deux félins gagnèrent la caverne principale, puis, la quittant avant l'autre chat, Abysse ne put se retenir de lancer :
 « C'est une bien belle journée, non ? »
 Pff. Elle ne devait pas faire mauvaise impression au matou. Elle se retourna aussitôt, gênée. Si elle avait pu rougir, elle l'aurait fait.
 Elle descendit la petite pente talonnant l'entrée de son camp en s'assurant que le malade la suivait. Oui, cette journée est bien plus belle que tu ne le penses.
 

Le soleil réchauffa avec douceur le pelage de la soigneuse lorsqu'elle sortir dehors. Elle s'engagea, l'esprit tout heureux, dans le descente en prenant bien soin de s'accrocher de ses griffes. Elle se souvenait être tombée et avoir dévalée la paroi rocailleuse de la montagne lorsqu'elle était à peine aspirante. Elle était restée longtemps dans la tanière de son père en convalescence, le crâne tout bosselé et les os ankylosés.
 Le cœur d'Abysse se serra en pensant à son père. L'arrière-train plus haut que l'arrière, ce, du à son ascension, elle lança un regard par-dessus son épaule à Faucon et fut tout de suite apaisée. Elle atteint enfin le pallier de roche au flanc de la montagne et les deux félins purent continuer leur marche en descendant la montagne sur la corniche.
 Abysse se sentait en sécurité auprès de Faucon. J'espère que c'est réciproque. Elle soupira. Peut-être se faisait-elle des idées et que Faucon n'avait pas d'yeux pour la soigneuse. Mais elle se plaisait à y croire et y croyait réellement.
  « On devrait pouvoir trouver de la Grande Camomille dans la forêt, miaula t-elle en tentant de ne pas laisser trembler sa voix. C'est là que j'en trouve d'habitude. »
 Ce silence qui régnait depuis qu'ils étaient partis la crispait un tant soi peu et elle avait trouvé n'importe quoi pour parler, sans même réfléchir. Faucon... Pourquoi ne te plies-tu pas à moi ? Tu devrais en être enchanté, non ?
 Abysse continua sa descente vers la forêt avec un sourire narquois et rêveur.
 

La soigneuse tachetée s'y plaisait à rêvasser, la tête vers le ciel bleu. Si un quelconque danger survenait, elle était sûre de ne pas réussir à émerger à temps ! Elle rit légèrement.
 Soudain, Faucon la ramena à la réalité. Il la doubla, descendant la pente rocailleuse furtivement, un sourire narquois et moqueur au visage.
 « Il vaudrait mieux pour toi que je passe devant, tu risquerais de mourir asphyxiée si je te tombais dessus. »
 Abysse, yeux écarquillés, n'en revenait pas. Elle se stoppa un instant, avant de le rattraper, la face en expression de défi. Il m'a fait une blague ! Il... Il m’apprécie !
 Abysse se serait volontiers prêtée au jeu de Faucon et était même prête à lui bondir dessus, mais un plant de Grande Camomille laissa traîner son odeur sous la truffe d'Abysse. Son instinct loyal de soigneuse la porta toute seule vers la fleur blanche, qui poussait au pied d'un arbre de la forêt. Elle se dirigea vers la lisière de ce bois et y pénétra d'un pas lourd et ferme. L'esprit contrarié, elle s'assit près de la plante et en coupa la tige avec les crocs, la tête de travers. Elle tentait de se calmer en pointant son regard vers le feuillage dense des arbres au-dessus d'elle.
 La tige était solide. Cela va t-il bientôt finir ? Elle n'avait pas envie que ce moment gênant devant Faucon se prolonge.