Je me souviens encore de la scène. Enfin, pas aussi précisément que si elle venait de se passer, mais je m'en souviens parfaitement. J'étais là, face à ce mâle au pelage d'ébène, frémissante, je ne l'ai même pas salué, je me suis juste approchée de lui, les pattes tremblotantes, et lui ait glissé un simple :

« Rejoins-moi à minuit au Sud du lac. »

Puis je suis partie comme une voleuse. Désormais, je regrette un peu cette approche. Mais je précise "un peu", car je ne regrette pas entièrement. Comment aurais-je pu faire d'autre ? Je crains quelque peu cette Tribu secrètement, mais pas question de le laisser voir.... Mais après tout, qui pourrait me blâmer ? Nous étions dans les cascades, un endroit que j'affectionne quelque peu, et je l'ai croisé, et cette idée m'est venue immédiatement. Il faut que je le vois, en privé. Mais que va t-il penser ? Je sais qu'il ignore que je suis soigneuse depuis peu. Il aurait fallut attendre la prochaine Assemblée, mais elle n'aura pas lieue avant deux quarts de lune au moins. C'est dur, très dur d'être soigneur. Surtout ainsi. Lui est habitué depuis longtemps, enfin, je suis sûre qu'il a eu moins de mal. Il est ambitieux, il voulait l'être, que moi, moi... Disons que le destin m'a un peu forcé la patte. Mais que va t-il penser, alors ? Va t-il croire que j'essaye de le draguer ? Va t-il seulement venir ? Cette idée m'effraie. Cela fait déjà longtemps que j'attends là, assise dans la nuit, près d'un bosquet d'aubépines. Ce serait idiot d'être venue là pour rien. Quelques flocons dansent dans l'air glacé, le lac brille sous le scintillement des étoiles. J'expire un immense nuage de buée et frémis, étire mes membres ankylosés, et me replonge dans mes pensées. Je tente de m'imaginer la discussion qui va avoir lieue. Enfin, si elle a lieue.

Nice evening, isn't it?
Pv Requiem.

Je cille, je frissonne, j'attends. Les flocons n'arrêtent pas leur interminable danse dans l'air, je les suis du regard, les paupières fatiguées. Va t-il venir ? Je me dandine lentement. Mes membres ankylosés réagissent mal à la froideur nocturne et souffrent quelque peu. Je les étire un instant et, d'un coup, mes oreilles se dressent. Comme réveillée en une seconde, je dresse la tête, les sens en alertes. Un bruit, un crissement d'herbe gelée. Là. Le voilà.

« Salutations, Requiem. »

Je me lève et m'approche vers lui. Une légère courbette, et je tends ma patte droit vers lui. Vieux signe d'amitié et de confiance. Cela me laisse l'occasion de le fixer un instant. Le regard fixe, à la fois sûr de lui mais distant. D'une carrure imposante. Face à lui, je n'ai qu'une chance ; m'enfuir à toute vitesse. De plus, il en serait presque invisible dans la lueur argentée de cette nuit glaciale. Seuls ses yeux jaunes brillent dans le noir. Il ne m'inspire pas réellement de... Comment pourrais-je dire ? De sympathie ? Non, non, il m'intrigue. J'ai réellement hâte de connaître sa réaction. C'est, à vrai dire, la troisième fois que je le vois. Encore. La première fois, c'était vaguement à une Assemblée ; la deuxième aux cascades. En public, il demeurait mystérieux. Mais là, qu'a t-il à cacher ?